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« Faciès en France » 2/4. « Nous sommes la profession la plus contrôlée de France »

   Un reportage de Mélissa Latrèche, édité par Sailesh Gya. 

À travers notre dossier « Faciès en France », nous avons voulu recueillir le témoignage de différents acteurs du contrôle au faciès, question centrale de la vie publique aujourd’hui. Voici le deuxième volet.

L’étude menée par le Défenseur des droits Jacques Toubon affirme que les individus issus de l’immigration ont plus de chance de se faire contrôler. Des propos contestés par Christophe Rouyer, secrétaire départemental du syndicat Alliance de la Police nationale du Bas-Rhin. « C’est certain que lorsque l’on est contrôlé, la personne de couleur va affirmer que cela s’est produit, car elle est noire, mais la personne blanche va justifier ce contrôle car elle porte un costume et semble riche », estime-t-il.
Pour Christophe Rouyer, lorsque les forces de l’ordre effectuent un contrôle d’identité, la personne va systématiquement dénoncer cet acte.

« Des excuses, nous en entendons des centaines qui sont trouvées lors des contrôles d’identité, et je ne pense pas que la plupart de mes collègues font des contrôles au faciès. Ils exercent juste leur métier », assure-t-il. Une chose est sûre : certains contrôles sont déterminés par la recherche de résultats. « Lorsqu’une communication nous a été faite sur une description physique, le contrôle est dans ce cas ciblé sur des personnes d’apparences similaires », explique le syndicaliste.

Selon lui, il n’y a pas de hasard, mais une série d’ordres auxquels obéissent les agents. « Les contrôles effectués sont orchestrés par instruction hiérarchique, ou en raison d’une infraction au préalable, ou encore d’une suspicion d’infraction », souligne-t-il pour réfuter l’idée que les policiers effectuent des contrôles systématiques sur certaines personnes en fonction de leur origine, leur couleur de peau ou leur religion. Et en cas de contrôle au faciès, voire de mots et des comportements racistes, l’institution ne se dérobe pas selon lui. « Dès lors qu’il y a une infraction ou des éléments de langage qui dérapent, les sanctions sont doublement données aux policiers, à savoir judiciaires et administratives. Il y a déjà eu des condamnations sur ces faits dans le passé. Lorsque des collègues dérapent, ils sont sanctionnés, et punis par le Code pénal », poursuit-il.

Les récentes enquêtes de « Mediapart », d’Arte Radio et « StreetPress » apportent une cinglante nuance à ces propos. Elles ont dévoilé des échanges de membres des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux Whatsapp et Facebook. Des cas concrets de racisme au sein de la police, redonnant de l’écho à la polémique des contrôles d’identité au faciès. Mis sur le devant de la scène, les forces de l’ordre sont sommées d’apporter des réponses. « Les policiers sont des êtres humains avant tout, nous sommes représentatifs de la société. Il y a donc autant de racistes en France dans n’importe quelle profession, mais pas plus chez nous. », plaide le syndicaliste.

«Il est indéniable que certains sont racistes»

Un constat partagé par Jean (le prénom a été modifié NDLR), fonctionnaire de police à la retraite qui a longtemps exercé dans le grand Est et à Strasbourg. Comme tous ses collègues, il sait que les comportements abusifs sont punis et les contrôles sont encadrés par le code de déontologie. Depuis 2014 par exemple, les fouilles au corps sont encadrées et le tutoiement est proscrit.
Mais l’ancien policier, ayant effectué plusieurs contrôles, a aussi vu que les forces de l’ordre ne respectent pas toujours ces règles.

« Je peux assurer que lors des contrôles d’identité, certains policiers ne vouvoient pas les personnes, notamment quand ils sont noirs ou arabes. Il en est de même pour les fouilles au corps, qui sont parfois injustifiées. Même s’ils sont minoritaires, il est indéniable que certains sont racistes et peuvent user de leur pouvoir pour effectuer ces contrôles qui n’ont pas lieu d’être », dévoile-t-il. 

La loyauté à l’uniforme conduit beaucoup d’entre eux à se taire, de peur de salir la réputation de la police. Avec pour effet de laisser les agents les plus radicaux agir plus librement. Jean a aussi constaté que certains policiers font bien preuve de discriminations à l’égard des communautés issues de l’immigration. « C’est une certitude que dans les banlieues par exemple les contrôles ne se font pas au hasard, et la couleur de peau fait la différence dans la majorité des cas », dit-il. 

Au moment où des manifestations contre les violences policières se multiplient en France, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a pris la parole le 8 juin dernier pour voler au secours de la Police nationale, accusée de racisme. Le ministre de l’Intérieur a martelé que la « tolérance zéro » serait adoptée en cas de soupçons de racisme. Il a également abordé la question des contrôles d’identité, parfois considérés comme étant effectués au faciès, en rappelant que ces derniers ne devaient pas être « le paravent des discriminations ». Promettant de retirer les contrôles d’identité comme critère d’activité des commissariats, Christophe Castaner a expliqué avoir adressé « une instruction à tous les services de police et de gendarmerie afin de rappeler le cadre des contrôles d’identité ».

Jean, l’ancien policier, ne place aucun espoir dans les annonces faites par le ministre de l’Intérieur. « Le problème est qu’il a beau imposer ces formations, je ne suis pas convaincu que certains policiers le respecteront. Il faut résoudre ce problème déjà au sein même des écoles de police, mais aussi au niveau du recrutement », explique-t-il. Le ministre de l’Intérieur a également évoqué la solution des caméras-piétons. Il s’est engagé à ce que leur usage soit « renforcé » lors des contrôles d’identité.
Selon lui, cette « bonne solution », qui « créée de la mémoire, est un outil de protection » aussi bien pour les citoyens que pour les policiers. Mais Jean doute que ce système puisse véritablement réduire le nombre de contrôles au faciès. « Les caméras-piétons, ce n’est pas nouveau. Si un policier ne souhaite pas l’enclencher, il ne le fera pas. Rien ne l’y oblige », objecte-t-il.

Des policiers à Strasbourg. CP : Wikimedia Commons

Un manque de moyens

Pour montrer la bonne foi des policiers et « montrer la difficulté du métier », Christophe Rouyer affirme que les syndicats réclament depuis de nombreuses années le déploiement total de ces caméras. « Favorable à filmer les interventions », il souligne tout de même les limites de ce dispositif dont les premières expérimentations datent de 2013. « Le son et l’image ne sont pas de bonne qualité. On ne peut donc pas utiliser correctement les caméras », affirme-t-il. Pour lui, avant de fournir un nouveau matériel aux fonctionnaires de police, il faudrait déjà prendre en compte les expériences déjà menées par le passé. Le syndicaliste strasbourgeois dénonce par là un manque de moyens, contraignant les policiers à devoir utiliser un matériel obsolète.
« L’administration nous couvre de caméras ayant des batteries très faibles ne permettant pas d’enregistrer. Le matériel est trop ancien et lourd à porter, témoigne-t-il, avec des batteries faibles, les policiers les utilisent que lors d’interventions pouvant dégénérer. Un contrôle d’identité sans débordements ne peut donc pas être vérifié par ces caméras. »

Un autre serpent de mer n’est pas réapparu lors des annonces du ministre de l’Intérieur : un récépissé remis par les policiers à la personne après un contrôle d’identité avec la date, le lieu et le motif du contrôle. Et, éventuellement, le matricule de l’agent qui a effectué l’opération. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a une nouvelle fois suggéré l’idée de cette « traçabilité des contrôles d’identité ». La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait, elle aussi, recommandé la mise en place de ce dispositif en 2016. Mais le récépissé, ne fait pas l’unanimité chez les policiers.

Christophe Rouyer est catégorique : il est contre. « Vous allez donner un récépissé prouvant que la personne s’est fait contrôler à 10 heures, mais à 11 heures, elle commet un délit. Lors de son prochain contrôle, elle atteste de son récépissé, mais entretemps, elle a commis une infraction. C’est inutile », juge le syndicat des forces de l’ordre.

Un dispositif qui ne séduit pas

Pour lui, ce dispositif est même « une entrave au travail des policiers, et un moyen supplémentaire de leur donner du travail ». « Il faut connaitre le métier et la profession pour pouvoir se rendre compte que le récépissé est quelque chose d’abstrait et qui démontre l’absence de compréhension de notre fonctionnement. Cela ne va amener à rien, mais va surtout monopoliser beaucoup de temps, d’autant plus que nous ne sommes pas nombreux », explique-t-il. « Nous sommes la profession la plus contrôlée et sanctionnée de France. Nous trouvons cela aberrant de devoir encore se justifier sur tout et n’importe quel contrôle. Nous ne faisons qu’assurer la sécurité des Français », lâche-t-il, exprimant le ras-le-bol des policiers.

Le récépissé après le contrôle au faciès est pourtant l’une des propositions qui avaient été le plus loin au Parlement pour éviter que le contrôle d’identité ne soit vu comme un simple contrôle au faciès. C’était sous la présidence de François Hollande.
Retour demain sur la suite, législative cette fois, du contrôle au faciès avec des élus politiques dans le troisième volet de notre enquête.

Mélissa Latrèche

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