Un reportage de Mélissa Latrèche, édité par Sailesh Gya.
À travers notre dossier « Faciès en France », nous avons voulu recueillir le témoignage de différents acteurs du contrôle au faciès, question centrale de la vie publique aujourd’hui. Voici le premier volet.
Dans une enquête menée en 2016, le Défenseur des droits Jacques Toubon avait évalué que les jeunes hommes « perçus comme noirs ou arabes » ont « une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés ». Déjà en 2009, un noir et un arabe avaient respectivement 6 fois et 7,8 fois plus de risques de se faire contrôler qu’un blanc, selon une étude menée par des chercheurs du CNRS. Les attentats de novembre 2015 semblent avoir renforcé ces discriminations, créant une défiance entre les policiers et les minorités issues de communautés.
« Je me suis fait plaquer contre le mur et palper brutalement. J’ai l’impression d’être coupable de ma couleur de peau ». Une situation vécue à plusieurs reprises lors de contrôles d’identité par Moussa, 26 ans, Strasbourgeois d’origine sénégalaise. Il y dénonce un délit de faciès, qui s’applique aux pratiques discriminatoires ou racistes. Comprenez le fait de juger une personne à son apparence, à savoir ses vêtements, sa couleur de peau ou son accent. Nombreux sont les jeunes issus de l’immigration postcoloniale, au casier judiciaire vierge, qui font l’objet de multiples vérifications d’identité, de palpations ou encore de fouilles en pleine rue, alors qu’ils ne commettent aucun délit, comme le rappelle l’étude du Défenseur des droits.
Une réalité pour Moussa. « J’ai été arrêté plus d’une dizaine de fois dans la rue pour des contrôles d’identité, seul ou avec des amis », déclare le jeune homme. « Il y a 2 ou 3 ans, je me trouvais un après-midi avec un ami devant la place des Halles, en plein centre-ville de Strasbourg, et des policiers sont venus », poursuit-il. Il a subi pour la première fois un contrôle en public. Une situation humiliante pour Moussa.
« Ils nous ont demandé nos papiers, puis nous ont fouillé à la vue de tous. Tout le monde s’est arrêté pour me regarder, j’avais tellement honte d’être perçu comme un voyou, c’est un sentiment horrible », s’indigne-t-il.
Après les contrôles, Moussa confie qu’il n’est plus rassuré à l’approche de policiers. « Quand j’aperçois la police, j’ai toujours ce sentiment de peur et pourtant je suis innocent. Être noir, porter un jogging et des baskets ne fait pas de moi un délinquant » affirme le jeune homme.
Son ami Madjid, 32 ans d’origine marocaine, estime que « la police fait un amalgame : être typé maghrébin avec une barbe est aujourd’hui assimilé à un terroriste », résume-t-il.
« Je sais pertinemment que sans cette barbe, je serais beaucoup moins contrôlé », pense-t-il. Mais il ne s’estime pas pour autant prêt à la raser. Et il a une raison : lors de ses premiers contrôles d’identités, il n’avait pas de barbe. « Je devais avoir 17 ou 18 ans, j’étais avec des copains de mon quartier. On était assis devant mon immeuble après avoir joué au foot. Une voiture de police patrouillait dans le quartier, puis s’est arrêtée devant nous », se souvient-il. « Je m’étais dit qu’ils cherchaient peut-être des personnes qui vendaient de la drogue, ou autre, mais ils ne nous ont rien dit de plus. C’était un contrôle vraiment étrange et injuste », témoigne-t-il avec émotion. Sans se douter que ce serait le premier d’une longue série.
Aujourd’hui, si Madjid subit toujours des contrôles d’identité, il ne le tolère toujours pas. « Malheureusement je dois m’y habituer, car je sais que cela ne va pas s’arrêter. Mais ça m’énerve qu’à 30 ans passés, ce soit la même situation qu’il y a 10 ans… Et même pire », souligne-t-il, songeur.
« Leur parole contre la nôtre »
Cette situation qu’ils vivent depuis l’adolescence fait partie de leur quotidien. Si les contrôles subis par les deux amis n’ont jamais débordé, c’est qu’il ne se sont jamais débattus, par peur de représailles, même quand un sentiment d’injustice les envahissait. « Si on se fait contrôler, on n’est pas en position de force. Alors, si on conteste, on les contrarie et j’ai pas envie de finir plaquer au sol, ou d’avoir des soucis avec la justice. On ne sait jamais à quoi s’attendre », explique Moussa. « Je reste toujours immobile, car si cela se passe mal, c’est leur parole contre la nôtre. Et entre un jeune de banlieue et un policier, on sait tous qu’on n’a aucune chance », affirme-t-il.
Si les policiers se révèlent parfois brusques lors de fouilles ou de plaquages contre les murs, Moussa et Madjid affirment ne jamais avoir été victimes d’injures. Dans l’étude du Défenseur des droits, un élément est à noter. Plusieurs contrôles de jeunes issus de minorités ne sont plus soumis à de simples vérifications avec présentation d’une pièce d’identité, mais à des palpations et interrogatoires souvent de longue durée.
Une discrimination pesante
Durant la période de confinement, les contrôles d’identité n’ont pas cessé pour autant. Au contraire, Sara, 21 ans, Française d’origine syrienne, affirme que certains policiers ont profité des vérifications d’attestations pour abuser des contrôles au faciès. « Je voyais plusieurs personnes ne pas se faire contrôler, mais moi j’ai systématiquement dû montrer mon attestation », s’insurge la jeune fille. « La raison est simple, c’est dû à mon teint mat et mes cheveux noirs frisés, et en plus je viens d’un quartier », estime-t-elle. « C’est pesant de toujours se faire contrôler parce qu’on pense que l’on est différent », s’énerve-t-elle. Sara est persuadée que les policiers ont davantage « contrôlé les noirs et les arabes » durant le confinement.
Pour ces trois Strasbourgeois, la religion, la couleur de peau et le lieu de résidence sont des facteurs de discrimination, qui leur portent préjudice notamment lors des contrôles d’identité.
L’actualité a donné une lumière singulière au délit de faciès, avec la déclaration de Camélia Jordana dans l’émission de France 2 « On n’est pas couché » du 23 mai dernier. L’actrice et chanteuse a déclaré que « des hommes et des femmes se font massacrer par la police quotidiennement en France, pour nulle autre raison que leur couleur de peau ». Elle illustre ses propos par sa propre expérience, en tant que jeune femme d’origine arabe, qui ressent un sentiment d’insécurité à l’approche de policiers.
Signe du malaise, le hashtag #MoiAussiJaiPeurDevantLaPolice, recensant plusieurs milliers de tweets, a appuyé l’idée qu’une partie de la population française redoutait sa police.
Demain, notre second volet portera sur les policiers.
Mélissa Latreche