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« Faciès en France » 3/4. Des élus très divisés

Un reportage de Mélissa Latrèche, édité par Sailesh Gya.

À travers notre dossier « Faciès en France », nous avons voulu recueillir le témoignage de différents acteurs du contrôle au faciès, question centrale de la vie publique aujourd’hui. Après les citoyens (1/4), les policiers (2/4), voici le troisième volet : les élus.

Sous la présidence de François Hollande, le contrôle au faciès avait alimenté les débats au Parlement. Une réflexion qui n’a pas été reconduite par Emmanuel Macron, mais qui est aujourd’hui relancée. 

La question du contrôle au faciès suscite toujours de nombreuses réactions dans la classe politique. Au sein même de la gauche, les parlementaires ont des avis bien tranchés sur le sujet. Rappelons que ce thème des contrôles d’identité abusifs était une des promesses de campagne de François Hollande en 2012. « Je lutterai contre le “délit de faciès” dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens. » figurait en 30e position dans ses 60 engagements pré-électoraux. Une idée qui émanait d’une enquête de Human Rights Watch. L’ONG (Organisation non gouvernementale) préconisait la solution d’un récépissé remis après un contrôle de la police.

« Compte tenu de ce qu’il s’était passé avec les policiers, lors des attentats de novembre 2015, c’était une mesure très mal perçue par les syndicats de police, et il n’était pas opportun de la mettre en œuvre à ce moment

Philippe Bies, ancien député PS.

Quatre ans après l’arrivée de la gauche au pouvoir, une proposition de loi est déposée en 2016, allant dans ce sens. Mais ni elle ni les amendements visant à modifier l’article 78-2 du code de procédure pénale n’ont abouti. Philippe Bies, adjoint au maire de Strasbourg, et ancien député socialiste (PS) sous le mandat de François Hollande, revient sur l’échec de cette proposition de loi, combattue par Bernard Cazeneuve, qui était alors ministre de l’Intérieur. « Par principe, le ministre n’était pas opposé à cette mesure, confie Philippe Bies, mais compte tenu de ce qu’il s’était passé avec les policiers, lors des attentats de novembre 2015, c’était une mesure très mal perçue par les syndicats de police, et il n’était pas opportun de la mettre en œuvre à ce moment ».

Les débats à l’Assemblée nationale, en juin 2016, reflètent les tensions durant cette période. Ce qui n’empêche pas l’ancien député socialiste de constater que les discriminations se sont renforcées depuis 2015. 

Le sénateur Jacques Bigot (PS) à gauche, Éric Coquerel (LFI) en haut à droite et Philippe Bies, ex-député PS, en bas à droite. Montage : Mélissa Latrèche.

« À l’époque, on a créé une ambiance qui fait qu’un individu d’origine maghrébine était musulman pratiquant extrémiste, ce qui n’est pas la réalité. Mais nous sommes dans une société de l’immédiateté », déplore l’ancien député du Bas-Rhin. Ce dernier reconnaît aussi que le racisme est présent au sein des forces de l’ordre. « Certains policiers ont des idées d’extrême droite, ce qui est leur droit, mais cela peut ainsi se répercuter dans la manière dont ils effectuent leur travail, regrette-t-il. La police est républicaine et doit se comporter de la sorte, puisqu’elle représente l’égalité, notamment dans le traitement à avoir avec les personnes contrôlées. »

Un récépissé polémique…

Jacques Bigot, sénateur bas-rhinois, était beaucoup plus réticent sur l’idée du récépissé. Il met en cause la charge de travail supplémentaire pour les policiers, qui entraverait leurs fonctions initiales. « Ce n’est pas la fonction d’un policier de faire de l’administratif. C’est une perte de temps sur leur vrai travail de terrain », indique le sénateur, avant d’insister sur une défiance de la population envers la police. Il reprend les motifs qui ont en partie conduit au rejet de la proposition de loi. « Passons plutôt par la formation, par les élus dont le Défenseur des droits soulignait le rôle. À nous de faire remonter l’information, de convaincre la police que les abus localisés doivent cesser pour que règne la confiance », avait-il déclaré à l’époque pour justifier le refus du groupe socialiste et républicain du Sénat de voter pour ce texte.

Le récépissé conçu par le Collectif stop le contrôle au faciès. CP : Stop le contrôle au faciès.fr

Deux ans après, un nouveau président, et une nouvelle majorité plus tard, les députés de La France insoumise (LFI) reprennent le flambeau des contrôles abusifs au niveau législatif. Ils ont porté en 2018 une proposition de loi expérimentale du récépissé dans le cadre de contrôles d’identité, et sur des territoires volontaires. « Nous avons repris un projet de loi déjà proposé au Sénat par le groupe Les Verts en 2011 », souligne Éric Coquerel, député LFI et rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. Cette proposition devait permettre une traçabilité des contrôles.

« Inviter le policier à réfléchir sur la raison du contrôle, sans banaliser l’acte, et permettre à la personne ayant eu ce récépissé d’interpeller des défenseurs de droits avec des preuves matérielles. »

Éric Coquerel, député La France Insoumise.

« La police est la seule à disposer du monopole de violence légale dans ce pays. Il est donc normal qu’il y ait un droit de contrôle du citoyen sur l’action du policier, notamment lors des contrôles qui ne servent à rien », souligne-t-il. Le député de Seine-Saint-Denis assure que « cette proposition de loi aurait permis de faire valoir la justice républicaine dont tous et toutes doivent bénéficier ». L’esprit du texte n’a pas changé : un policier voulant contrôler quelqu’un, doit lui remettre un récépissé qui justifie ce contrôle. Éric Coquerel y voit un moyen « d’améliorer le lien solide entre la police et l’ensemble de la population, en particulier la jeunesse ». Mais aussi deux effets : « Inviter le policier à réfléchir sur la raison du contrôle, sans banaliser l’acte, et permettre à la personne ayant eu ce récépissé d’interpeller des défenseurs de droits avec des preuves matérielles. » Il balaye l’idée que les attestations de contrôle empêcheraient la police de faire son travail. 

… qui peine à convaincre

Comme en 2016, la proposition de loi a été rejetée. Avec le recul, Philippe Bies y est encore plus favorable aujourd’hui. Pour l’ancien député PS, c’est « un moyen de réduire dans certains secteurs des contrôles systématiques et ciblés ».

Dans plusieurs pays européens, tels que l’Espagne ou encore l’Angleterre, le récépissé a pu être expérimenté.

« Dans ces pays, tout le monde y a vu des bienfaits, y compris la police dans son rapport à la population », assure aujourd’hui le député Éric Coquerel. Sa réflexion porte plus loin : pour remédier aux contrôles au faciès, il préconise ainsi « une réforme de la police », pour tenter d’améliorer le rapport souvent difficile entre les forces de l’ordre et une partie de la population, notamment « jeune et discriminée car racisée. » Racisé : ce terme, apparu récemment dans le débat public, est porté par les associations militant contre toutes les formes de discriminations. Elles aussi ont alimenté les débats dans l’opinion publique comme nous le verrons dans notre quatrième et dernier volet.

Mélissa Latrèche

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