Ces dernières années, les plateformes de streaming, telles que Youtube, Spotify ou Deezer, ont accordé à des centaines d’artistes en herbe une chance de se lancer dans le monde du rap. Ces nouvelles technologies ont permis à de nombreux hommes d’obtenir une certaine notoriété dans ce milieu, au contraire des femmes. Comme si elles ne pouvaient pas faire de rap, et encore moins accéder au succès.
Le rap est un monde accessible à tous. Enfin, sur le papier. N’importe qui peut écrire un texte, trouver une prod, s’enregistrer avec un micro, et publier la chanson sur une plateforme de streaming. Pourtant, seul l’un des deux sexes semble représenter dans ce milieu. “Il faut savoir que seul 1 à 2% des rappeurs français actuels sont des femmes, explique Pierre Liermann, qui anime l’émission Hip Hop From Elsass chaque semaine à Strasbourg. Pourtant, prêt de 20% des auditeurs de rap sont des femmes.” Une proportion très inégalitaire qui peut s’expliquer par le fait que les auditeurs de rap n’écoutent que très peu les femmes. “J’écoute du rap féminin assez rarement, je n’en connais pas beaucoup, confie Leyla Sobler, grande auditrice de rap. Mais si elles sont si peu représentées, c’est parce que les textes des rappeurs sont pour la plupart très machos. Quand Booba dit “t’es bonne en legging, t’es bonne en cuisine”, ça donne pas vraiment envie aux femmes de rejoindre ce milieu.”
Le rap, un milieu violent pour les femmes
“C’est un milieu très masculin, où il y a beaucoup d’ego trip, justifie Pierre Liermann. Beaucoup de filles ont peur de se lancer, peur du regard des autres, elles n’ont pas confiance. C’est dommage parce qu’elles ont aussi apporté beaucoup de choses au rap.” Mais ce milieu, comme destiné aux hommes depuis toujours, a eu le don de décourager plusieurs femmes qui voulaient se lancer dans le rap. “Au départ, on disait que le rap était un truc de bonhomme, analyse Maeva responsable de l’antenne Art&Miss depuis 2012 et qui produit des rappeuses. Au contraire, les femmes étaient destinées au chant. Il y a donc toujours eu cette idée qu’une voix de prédilection existait pour chacun des deux sexes.” Mais au delà de ce problème d’un monde très masculinisé, la peur de se faire juger représente également un gros frein pour se lancer. “Les commentaires sous les vidéos de rappeuses sont d’une violence inouïe, poursuit Maeva. Une fille va être jugée sur son physique, ses cheveux, son cul, et seulement après sur son rap, au contraire d’un homme. Donc quand t’es une femme, tu réfléchis à deux fois avant de te lancer.”
Une évolution récente
Mais dernièrement, une évolution est tout de même à souligner. Plus de femmes ont osé se lancer, et sont plus écoutées. Un phénomène qui s’est déjà produit aux Etats Unis, où Cardi B et Nicki Minaj ont rencontré un buzz planétaire. Si Diam’s avait rencontré un succès national conséquent il y a une dizaine d’années en France, personne n’a vraiment assurer la relève depuis. Aujourd’hui, Chilla commence à attirer l’attention des auditeurs, comme une preuve que la roue est en train de tourner. “Avant, les femmes n’étaient là que pour faire le refrain, déchiffre Pierre Liermann. Aujourd’hui, c’est moins le cas: elles écrivent leur couplet. Mais il y a une vraie libéralisation de la parole. Et je pense que dans les années à venir, cela continuera dans ce sens.” Pour poursuivre dans cette direction, Maeva a une idée à développer: “Il faudrait que des plateformes soient dédiées entièrement aux femmes. Elles auraient un studio et des micros à disposition. Des espaces seraient ensuite créer pour les aider à se promouvoir. Madame Rap a déjà beaucoup travaillé à ce sujet.” Si le chemin des femmes vers le succès dans le rap est encore long, la direction empruntée et l’évolution des mentalités va en tout cas dans un sens positif.
Damon Schlaefflin