Le documentaire Regarde Ailleurs met en lumière le quotidien des personnes en exil dans la « jungle » de Calais. Ce sont des hommes et des femmes d’origine soudanaise, afghane ou encore érythréenne… Arthur Levivier leur donne la parole. Avec son film, il leur offre la possibilité de raconter leurs histoires et de dévoiler la vérité sur leurs conditions de vie et la façon dont ils sont traités à Calais : des témoignages mis en total contraste avec les discours officiels des politiciens.
Les plans ont été tournés avant, pendant et après le « démantèlement » du camp. Ils donnent une vision plutôt négative de l’État (des politiques, de la police, mais aussi des médias). Une prise de position bien assumée de la part du réalisateur, donc… Mais des images authentiques et des faits que l’on ne peut pas – que l’on ne peut plus – nier après visionnage
Pour permettre au spectateur de souffler, Arthur Levivier a quand même réussi à ponctuer la réalité difficile de la « jungle » de quelques instants de joie et de quelques sourires… mais, pour les exilés, ceux-ci sont toujours éphémères…
Ce qu’Arthur Levivier décrit à travers son film, Ali, lui, l’a vécu. Et juste après la projection, il s’est levé pour partager son histoire avec le public.
Ali est né au Soudan, à Nyala (au sud de la région de Darfour). Là-bas, la guerre commence en 2003. Au départ, elle oppose la population soudanaise noire aux Arabes pro-gouvernementaux : il s’agit donc d’un conflit d’origine ethnique. Lorsqu’il n’est encore qu’un adolescent, le village d’Ali est attaqué.
Une fois majeur, Ali part étudier à l’université de Khartoum, la capitale du Soudan. Il y subit des violences liées à sa couleur de peau, et, comme il milite en faveur de la liberté, il est régulièrement arrêté. Après six ans passés loin de chez lui, il décide de rentrer à Nyala. Mais il n’y arrivera pas : il est fiché par les services de renseignement qui le considèrent comme un rebelle et il est placé en détention. Sa famille est contrainte de soudoyer un officier de police pour qu’il soit libéré. Mais une fois relâché, il n’a plus d’autre choix que de fuir son pays.
Ali quitte le Soudan pour la Lybie. La vie y est tout aussi compliquée. Il travaille pendant plusieurs mois sans être payé. Menacé de mort par son patron, il est encore une fois obligé de fuir. Il rejoint alors Tripoli. Mais les rues sont constamment surveillées par les milices et il ne peut pas sortir seul. Il trouve de quoi gagner sa vie, mais, rapidement, il perd la protection de son employeur.
Ali envisage alors une toute nouvelle solution : il décide de se tourner vers un passeur afin de s’enfuir vers l’Europe. C’est la première fois que cette idée lui effleure l’esprit. Il est totalement conscient du danger : la mer, c’est 90 % de chances de mourir, et il le sait. Mais Ali « préfère mourir en mer que d’être tué par un autre homme ». Il passe presque un mois dans la maison du passeur, enfermé, sans faire de bruit… Lorsque la traversée commence, il se trouve avec 107 autres passagers, serrés sur un très petit bateau en plastique. Au bout de quelques heures, ils sont secourus par une embarcation espagnole, bien plus grande.
Ali réussit finalement à atteindre la Sardaigne. Mais pour lui, pas question de rester en Italie. Il s’est désormais mis en tête de rejoindre la France : c’est le seul pays d’Europe qu’il connaît vraiment. Direction Gênes, puis Vintimille. Après plusieurs tentatives, Ali parvient à passer du côté français. De fil en aiguille, il se retrouve à Paris. C’est là qu’il entend parler de de Calais. Il n’y réfléchit pas à deux fois et décide de s’y rendre immédiatement, non pas pour atteindre l’Angleterre, mais car les procédures de demande d’asile sont plus rapides là-bas. Il sait qu’il pourra également trouver des traducteurs et des associations qui seront en mesure de l’aider.
Le jeune homme découvre alors l’enfer de la « jungle » : la misère, la violence, les maltraitances policières… Rien qu’il n’eut pu imaginer : là-bas, les exilés n’ont pas d’autre choix que d’abandonner leurs droits humains et leur dignité.
Peu de temps après, il rencontre des membres de l’association Aleos, basée à Mulhouse. Il est pris en charge et s’installe à Ottmarsheim, en Alsace. Il est logé et nourri convenablement, loin de la « jungle ».
Quatre mois plus tard, il obtient enfin le statut de réfugié : pour lui, c’est une « renaissance ». Aujourd’hui, il étudie l’économie et la gestion à l’université de Stasbourg. Il est bien entouré, et demeure très fier de son parcours. Il est heureux d’avoir toujours gardé sa si grande « soif de liberté ».
Si le public est resté muet pendant tout de long son témoignage, de forts applaudissements ont suivi son intervention.
Pour finir la soirée sur une note plus joyeuse, de petits débats en groupes sur le thème des migrations ont été mis en place afin que chacun puisse s’exprimer.
Les bénéfices de la soirée seront bien évidemment utilisés pour venir en aide aux exilés.