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Plantu croqué par son public

Plantu a donné une conférence dessinée à la librairie Kléber de Strasbourg, jeudi 30 janvier. Venu parrainer l’ouverture des «Sacrées Journées », il a également présenté son dernier album «  10 bonnes raisons de ne pas se faire sauter ».

Quand Plantu s’exprime en public, mieux vaut s’y prendre à l’avance pour avoir une place. La foule – d’un certain âge- joue des coudes pour trouver une chaise libre dans la Salle Blanche de la librairie. A l’arrière, certains pestent, inquiets de ne pas pouvoir apercevoir sa grande silhouette dégingandée. Au second rang, Murielle, 76 ans, n’est pas de ceux-là : elle réserve son siège avec autorité, n’hésitant pas à jouer de la canne pour le revendiquer. Elle qui suit le dessinateur satirique depuis plus de trente ans est venue avec son carnet de notes : pas question de rater la moindre bribe de son discours. L’occasion d’afficher sa considération pour « un des génies français qui nous restent ».
Un sacré personnage pour entamer les Sacrées Journées

Il faut dire qu’en tant qu’ orateur, Plantu est un curieux personnage. Le registre familier dans lequel il s’exprime tranche avec la solennité de l’animatrice.  Il gesticule, finit rarement ses phrases, mais sans pour autant chercher ses mots. Il parle comme il dessine, et dessine comme il parle : au brouillon, à tout vitesse, dans un savant mélange d’espièglerie enfantine et de subtilités lourdes de sens.
Le format de la conférence dessinée correspond particulièrement bien à sa personnalité; moins à l’exercice de la séance de questions-réponses prévu à l’origine. L’objectif était de faire écrire aux auditeurs leurs questions à Plantu, qui y répondrait ensuite sur scène. Par manque de temps et devant la quantité de sollicitations, l’initiative est tombée à l’eau. Certains comme Hervé, qui souhaitait avoir son avis sur les « gilets jaunes », ont du rester sur leur faim. Le caricaturiste a cependant empoché toutes les questions et a promis d’y répondre par courrier ultérieurement, laissant planer une odeur de Grand Débat National sur la salle Blanche de la librairie.
Une conférence décousue…

Tout juste fait-il mention des attentats du 11 décembre dernier, pourtant attendus comme un axe majeur de la conférence. A la place, il se perd dans les méandres de son discours. Au menu, un tas de thématiques abordées en coup de vent. Son enfance, d’abord, avec ses problèmes d’attention : « c’est pour ça que j’avais 3/20 partout… Par contre, je savais dessiner ma maîtresse ! Devant, derrière, dessus, dessous… ». Strasbourg ensuite, avec ses bretzels et sa cathédrale : « Je l’adore, hein, mais alors à dessiner… »
Et également son amour pour la musique et tout particulièrement pour le défunt Michel Legrand, auquel il rend un hommage appuyé. Il concède d’ailleurs trouver ses compositions « plus abouties » que celles du sacro-saint Mozart. Avant de s’enquérir auprès de l’animatrice : «Au fait, combien de temps il me reste ?» Réponse gênée de l’intéressée :«En fait, nous avons déjà largement dépassé…»
C’est aussi ça, Plantu : un original, hyperactif cérébral mêlé d’un grand sentimental.
…mais un public conquis
Plus tard sur le parvis de la librairie, Émilie, une étudiante de 24 ans, refait la conférence avec quatre de ses amis. « Mes parents ont toujours lu le Monde, depuis bien avant ma naissance. Forcément, j’ai grandi avec la souris de Plantu sur la table du salon!» Explique celle qui possède presque tous ses albums. « C’est quelqu’un de fin. Parfois, on ne voit pas tout de suite où il veut en venir… ». Parmi les cinq compères, deux ne connaissaient « pas du tout ». C’est le cas de Quentin, qui a découvert « un sacré personnage, haut en couleur, très drôle à écouter». Il a été conquis par son éloquence anarchique : « Il ne finit pas ses phrases, et il peut bifurquer sur trois sujets différents en l’espace d’une minute, mais ça reste cohérent et même passionnant. A ce niveau, c’est du génie ! »
«On n’est pas d’accord, mais on s’en fout ! »
Plantu, de son vrai nom Jean Plantureux (Paris, 23 mars 1951), suit d’abord des études de médecine, qu’il a abandonne au profit d’études de dessin. Il s’y initiera à Saint-Luc de Bruxelles, l’école fondée par Hergé. Il publie son premier dessin pour quotidien le Monde, consacré à la guerre du Viêt-Nam, en 1972. Dix ans plus tard, il figure en Une pour la première fois, avant la consécration en 1985 quand André Fontaine, alors directeur de la publication, instaure la quotidienneté de ses caricatures sur la première page du quotidien. Il en deviendra un incontournable, et une figure du dessin de presse français.
L’une de ces œuvres les plus célèbres est un  dessin représentant les drapeaux israéliens et palestiniens, signé des mains des rivaux Yasser Arafat et Shimon Pérès. Pour ce dessin à l’immense portée symbolique, le festival du Scoop d’ Angers lui décerne en 1991 le « Prix du Document Rare ». Une représentation parfaite de sa philosophie de tolérance : « On est pas d’accord, mais on s’en fout !»

Antoine Gautherie