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Société

« Faciès en France » 4/4. Des associations impuissantes face au contrôle au faciès

Un reportage de Mélissa Latrèche, édité par Sailesh Gya.

À travers notre dossier « Faciès en France », nous avons voulu recueillir le témoignage de différents acteurs du contrôle au faciès, question centrale de la vie publique aujourd’hui. Voici le quatrième et dernier volet : les associations qui militent contre toutes les formes de discriminations.

Pour de nombreuses associations antiracistes, les contrôles d’identité ciblent, de manière excessive, une minorité de la population : les jeunes de certaines communautés. Des discriminations contre lesquelles elles ne cessent de lutter, mais qui sont difficiles à prouver. 

La discrimination est un phénomène enraciné depuis des années. Tout comme le combat des associations antiracistes pour la dénoncer. À la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) du Bas-Rhin, Fabielle Angel, sa présidente depuis 2015, constate que le contrôle au faciès est une des facettes du racisme en France. Elle estime même qu’il « fait partie du racisme fréquent ». « Il est très difficile de combattre cette discrimination », déplore-t-elle. Avec ses 150 adhérents et son avocat, la Licra du Bas-Rhin accompagne un grand nombre de victimes de contrôles au faciès dans leurs démarches.  

« Nous savons que cela existe, mais le combattre est plus dur. En l’absence de témoins et de preuves, il n’y a aucune chance d’aboutir à un procès.  »

Fabielle Angel, présidente de la Licra 67.

« Nous recevons énormément de dépôts de plainte pour des actes racistes comme les contrôles d’identité abusifs. Notre avocat les aide pour réclamer justice », explique-t-elle. Mais Fabielle Angel pointe un problème majeur : « Nous savons que cela existe, mais le combattre est plus dur. En l’absence de témoins et de preuves, il n’y a aucune chance d’aboutir à un procès, constate-t-elle. Et les actions de l’association telles que les manifestations ne suffisent plus. » Seule exception : la Cour de cassation a condamné l’État en juin 2016 pour des contrôles d’identité discriminatoires dans le quartier commercial de la Défense, en décembre 2011. Mais aujourd’hui, la présidente de l’association estime qu’une seule solution existe pour résoudre cette discrimination : « l’éducation, qui se fait dès le plus jeune âge ».

Elle multiplie les interventions auprès des plus jeunes, dans les écoles et les centres de loisirs, pour les sensibiliser à ces questions et aiguiser les consciences. « Nous aimerions intervenir de manière fréquente au sein des écoles de police et de gendarmerie pour aborder la question du racisme, mais aussi l’illustrer avec des cas de victimes que nous traitons. Mais, malheureusement, on ne pourra jamais empêcher une personne raciste d’abandonner ses idées et ses préjugés », juge-t-elle avec lucidité. Bien qu’elle affirme qu’il ne s’agit que d’une minorité de policiers coupables de délits de faciès, la présidente de la Licra 67 est favorable à une transparence totale des forces de l’ordre dans les cas problématiques.

Amer découragement

Une autre association, le mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) déclare avoir déjà alerté le gouvernement. Alfred Zimmer, membre de l’association à Strasbourg, explique qu’une lettre, cosignée avec SOS Racisme, a été adressée au ministère de l’Intérieur pour lutter contre les discriminations policières. « Il faut obligatoirement que ce ministère réagisse rapidement », selon lui. Un signe ? Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, s’est exprimé le 8 juin dernier pour annoncer des « mesures fortes » en faveur d’une « exemplarité » des policiers. Reconnaissant que les contrôles sont « parfois perçus comme ciblés », Christophe Castaner a annoncé que des « instructions » seront envoyées à la police et la gendarmerie nationale.

« Beaucoup n’osent même plus porter plainte parce qu’ils savent que cela ne va aboutir à rien »

Alfred Zimmer, membre du MRAP

Mais Alfred Zimmer reste sceptique.  « C’est bien beau de faire des promesses, maintenant il faut des actes », déclare-t-il. Il faut dire que lors de la publication du premier magazine du MRAP, le mensuel « Différences », en 1980, l’une de ses rubriques « Point chaud » évoquait déjà le racisme dans la police. Le dossier « Une situation qui inquiète le ministère. La grogne des flics antiracistes » concernait justement les « contrôles sélectifs ». Depuis, rien n’a vraiment changé.

D’après Alfred Zimmer, certains membres du MRAP, voulant une réponse concrète justifiant les contrôles d’identités fréquents qu’ils subissent, finissent même par abandonner leurs charges contre les policiers. « Beaucoup n’osent même plus porter plainte parce qu’ils savent que cela ne va aboutir à rien », affirme Alfred. La peur de réclamer justice est le sentiment de nombreuses personnes qui font appel à l’association. « Si vous accusez un policier, ce dernier va prouver que vous l’avez injustement accusé. Cela se retournera contre vous et vous serez alors accusé de diffamation », explique Alfred Zimmer.

« Il faut revoir le recrutement au sein des forces de l’ordre. Un travail doit être fait sur les modalités de recrutement, puis il faut aussi se poser des questions sur les formateurs. Une réforme est aujourd’hui indispensable. »

Ghyslain Vedeux, président du CRAN.

Un nouveau militantisme antiraciste

La LICRA et la MRAP comptent parmi les plus anciennes associations s’activant pour faire entendre la voix des individus discriminés et subissant le racisme. Mais au fil du temps, les revendications pour faire cesser les discriminations se sont durcies devant le manque de mesures fortes. Le CRAN (Conseil représentatif des associations noires de France) est l’une de ces structures qui ont récemment émergé, en décembre 2005, dans la lutte contre les discriminations.

Sa médiatisation, les polémiques et ses actions chocs contre tout ce qu’il considère comme des « discriminations ethno-raciales » l’ont vite rendu visible auprès de l’opinion publique. En 2017, il proposait sur son site, un formulaire pour un auto-récépissé. « Notre méthodologie, c’est un pied dans la rue, l’autre dans les institutions. », déclare Ghyslain Vedeux, son président. Sa solution pour limiter les contrôles au faciès est limpide. « Il faut revoir le recrutement au sein des forces de l’ordre. Un travail doit être fait sur les modalités de recrutement, puis il faut aussi se poser des questions sur les formateurs. Une réforme est aujourd’hui indispensable », souligne-t-il. Le CRAN collabore avec différentes instances, à savoir le Défenseur des droits ou encore la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCHD).

Les nouvelles manifestations contre les violences policières, parties des États-Unis pour s’étendre dans plusieurs pays, sont une occasion d’obtenir plus que de simples effets d’annonce de la part du gouvernement, selon lui. Mais il craint que cette prise de conscience ne soit qu’éphémère. « Quand la vague va retomber, où seront toutes ces personnes qui manifestaient dans la rue ? Il faut que nous restions mobilisés pour créer un rapport de force », estime-t-il. Et voir, peut-être, venir la fin des contrôles au faciès.

Mélissa Latrèche