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Noémie Kohler : « Aucun de nous ne s’attendait à une situation pareille »

L’Alsacienne Cécile Kohler, professeure agrégée de lettres modernes et déléguée syndicale FO, est emprisonnée dans la prison d’Evin à Téhéran depuis le 7 mai. Sa sœur, Noémie Kohler a accepté de nous livrer son témoignage.

Plus de 2 mois après les dernières nouvelles de Cécile, un nouvel appel d’une quinzaine de minutes à lieu le 22 février. Que vous a-t-elle dit ?

Comme toujours, un appel très surveillé. Elle était assez floue sur ses conditions de détention, on n’a pas pu en apprendre grand-chose. On sait qu’elle peut sortir 3 fois par semaine, dans la cour de la prison pendant une demi-heure. Elle n’a qu’un seul livre. Pourtant, on en a envoyé plein. Elle ne les reçoit pas.

Est-ce que vous pouvez nous décrire Cécile ?

C’est une personne très cultivée, qui s’intéresse à plein de choses. Elle est passionnée de littérature et d’histoire de l’art. Elle m’a emmenée dans un très grand nombre de musées. C’est quelqu’un de très solaire, de très joyeux. Elle aime les gens, faire la fête, danser. Elle a fait énormément de voyages en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud. Elle est très altruiste, très bienveillante.

Pourquoi voulait-elle partir en Iran ?

L’Iran est un pays qu’elle rêvait de visiter depuis des années. Ça fait 15 ans qu’elle m’en parle. Elle connaissait pas mal de personnes qui étaient allées et ils vantaient la beauté, la richesse culturelle du pays.

Appréhendiez-vous son départ ?

Je pense que cela dépend de la vision des gens et des a priori. Mes parents sont un peu « poules », ils s’inquiètent toujours pour leurs enfants et là oui, ils étaient inquiets qu’elle parte en Iran. Pour ma part, j’ai des amis qui sont allés en Iran et ils n’ont eu aucun problème, ils avaient trouvé ça magnifique. Aucun de nous ne s’attendait à une situation pareille.

Quel était son état d’esprit lors de ses premiers jours en Iran ?

Dès l’aéroport, elle nous a envoyé un message. Elle était super heureuse d’y aller. Tous les jours, on avait le droit à des photos et des messages. Elle était super enthousiaste.

Quand avez-vous compris la situation ?

Le dernier message que l’on a d’elle date du 6 mai, la veille de son arrestation a priori, jour où elle devait prendre son avion pour rentrer. On a commencé à s’inquiéter pendant le week-end du 8 mai, parce qu’on n’avait pas de nouvelles d’elle. On a essayé de rationaliser. On s’est dit que le décalage horaire l’a fatiguée, même s’il n’est pas énorme. À la fin du week-end, on a vraiment commencé à s’alarmer. Mes parents se sont donc renseignés auprès du quai d’Orsay. La semaine suivante, mes parents ont appris qu’elle avait été arrêtée. C’était un moment bouleversant. Je n’étais pas en Alsace, c’est ma mère qui m’a donné l’info. On ignorait sa date d’arrestation, on ignorait sa prison de détention, on ignorait tout en fait.

Alors que Cécile est détenue depuis 5 mois, une vidéo est diffusée sur la télévision d’Etat iranienne (https://www.youtube.com/watch?v=lzLAxsyQB8c) dans laquelle Cécile avoue être un agent de la DGSE. Cela a dû être un choc ?  

Le premier signe de vie qu’on a eu d’elle, c’est une vidéo horrible, dans laquelle ma sœur faisait de faux aveux extorqués sous la contrainte. C’est un choc énorme. Sa façon de parler est bizarre, on sent qu’elle est crispée, qu’elle n’est pas bien. Elle a une voix étrange. On est effondré à ce moment-là et on craint énormément les conséquences que peuvent avoir une telle vidéo sur la suite de sa détention. Quelle peine va-t-elle encourir quand on a réussi à lui extorquer ces faux aveux ? C’est terrifiant parce que ça vient concrétiser nos craintes. Nous, pendant tout ce temps, on s’était renseigné sur les conditions de détention dans le pays, on a lu des témoignages d’anciens otages. On sait qu’une pression psychologique très importante est exercé sur les détenus.

Le 22 novembre, vous créez le comité de soutien Liberté pour Cécile, dans quel but ?

Quand on a vu la vidéo de Cécile, on a eu besoin de lui faire passer des messages. On a fait une conférence de presse pour parler de ma sœur, pour parler de la situation et pour présenter le comité de soutien.  Et par ce biais lui envoyer des messages de soutien, aussi illusoire que cela puisse paraître. Elle a l’air vraiment coupé du monde, mais on se devait de tenter à travers la presse, de lui passer des messages. On a aussi créé ce comité de son soutien, parce qu’on pense au retour de Cécile. Quand elle reviendra, ça l’aidera de savoir qu’elle était aidée.

Le lendemain, une première rencontre s’établit entre Cécile et l’ambassadeur de France à Téhéran après 200 jours sans contact. Comment l’apprenez-vous ?

Tôt le matin, on a un appel du Quai d’Orsay qui nous dit qu’une visite consulaire devrait avoir lieu dans la journée. Le soir, on a un appel des personnes qui nous encadrent au Quai d’Orsay et qui nous font un retour de l’entrevue que l’ambassadeur a eu avec ma sœur. Et donc on a les premières nouvelles d’elle. On sait qu’elle a passé plusieurs mois en isolement cellulaire. La visite consulaire a duré une dizaine de minutes. Ils étaient très surveillés et très encadrés. 

Le dimanche 18 décembre, vos parents obtiennent un appel en Visio de cinq minutes avec Cécile, comment cela a été possible ?

Personne ne nous avait prévenus. Le dimanche matin, mon téléphone sonne et je vois un numéro étranger. Je décroche et j’entends ma sœur en pleurs à l’autre bout du fil, qui dit mon nom. Je demande à mon compagnon d’appeler mes parents en haut-parleur pour qu’ils entendent la conversation. Une dame qui parlait parfaitement français, prend la parole. Elle demande à ce que je confirme mon identité. Elle me repasse ensuite Cécile qui me demande le numéro de ma mère, je lui donne. La conversation s’arrête ensuite. Dans la foulée, ma mère est appelée en Visio. Nous étions encore en ligne avec mon père, donc on a également pu entendre la Visio. Elle était très triste, très évasive. C’étaient surtout des messages d’amour, dès que mon père lui posait des questions sur sa détention, elle coupait court. J’imagine qu’elle connaissait mon numéro par cœur puisque la dernière connexion WhatsApp de ma sœur date du 6 mai 2022. Depuis, on laisse tout le temps notre téléphone sur sonnerie. On est vraiment aux aguets.

A-t-elle pu dénoncer ces conditions de détention ?

Encore une fois, c’était très très surveillé, très contrôlé. Ma sœur n’était clairement pas seule. Elle n’a pas pu se livrer sur ses conditions de détention. C’était très fort, très émouvant, ma sœur était en pleure. Il faut bien avoir conscience que cela faisait plus de sept mois que ma sœur était détenue et qu’elle n’avait pas eu un seul contact avec sa famille. Elle a essayé de rassurer mes parents parce qu’elle s’inquiète beaucoup pour eux.

Un rassemblement le 28 janvier à Paris, avec les familles des autres otages français en Iran a eu lieu. Le contact a-t-il été simple avec les autres familles ?

Le contact a été très facile, on a travaillé main dans la main. Cela a permis de mettre en lumière la situation de Cécile, mais aussi la situation des autres otages en Iran. Il y a beaucoup d’otages européens. Notre but, se serait aussi de faire des actions avec les familles d’otages européens.

Comment affrontez-vous cette situation ?

Le plus dur, c’est de voir le temps s’étirer. Le fait d’agir via le comité ça aide à surmonter l’épreuve que ça représente. On a l’impressionne d’apporter notre pierre à l’édifice. On regarde plusieurs fois par jour l’actualité du pays. C’est un des points communs entre les familles d’otages. Mais à chaque fois que l’on a des informations, on essaye de garder la tête froide pour ne pas être déçu ou pour ne pas trop espérer. On essaye de prendre les choses avec beaucoup de précautions. Le week-end dernier, on a organisé pour elle un concert à Soultz, sa ville d’origine. C’était agréable de faire une action de manière plus poétique. Je suis sûr que ça lui plairait beaucoup. Quand elle verra les photos, ça lui fera du bien.

Cécile Kohler est emprisonnée en Iran, depuis 315 jours. La famille de Jacques Paris, compagnon de Cécile Kohler également emprisonné en Iran, ne souhaite pas communiquer.

Tom Herga

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