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« La grande démission » ou le désenchantement au travail

Jusqu’au 4 février, le Forum Européen de Bioéthique s’établit à Strasbourg, dans l’enceinte de l’Aubette. La conférence qui s’y est tenue ce jeudi 2 février portait sur le phénomène de la grande démission. 

Il est 14h00, une centaine de spectateurs s’installent dans la grande salle de l’Aubette. Sur l’estrade, éclairée par des projecteurs aux lumières bleu et violette, trois intervenants font face au public : Tristan Dupas-Amory, Coralie Perez et Gaël Chatelain-Berry. A leurs côtés se trouve Catherine Rongieres, la modératrice de la session intitulée « La grande démission ». L’objectif de cette table ronde était notamment de discuter de ce phénomène. 

En 2020, 38 millions de salariés américains ont quitté leur emploi : le confinement et le télétravail liés au Covid-19 ont démontré un besoin absolu de changement. De là vient ce concept d’ampleur mondiale de grande démission : plus question de travailler pour vivre mais pas de vivre pour travailler non plus. Une idée qui n’est pas nouvelle. « La pandémie a été un accélérateur, mais le phénomène lui est antérieur. En période post-crise, on va davantage démissionner, ce n’est pas surprenant. Mais au long terme, on remarque que les démissions ne cessent d’augmenter », relate Tristan Dupas-Amory, chargé d’enseignement et chercheur associé à l’ESCP Business School. « Cela questionne notre rapport à l’emploi. S’il est détérioré, que les conditions de travail sont difficiles, pourquoi rester ? » 

Le travail, calvaire des Français ? 

     Tout au long de la conférence, sens et non-sens du travail étaient au centre des discussions. « Un travail a du sens si la personne se sent utile, si elle peut se reconnaître dans ce qu’elle fait, si elle peut mettre en œuvre ses compétences et se développer par le travail et dans le travail », définit Coralie Perez, économiste, ingénieure de recherche à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre du Centre d’Economie de la Sorbonne. Celle-ci a notamment réalisé des enquêtes afin d’obtenir un score du travail. Ainsi, ce sont 27% des salariés qui, en 2016, disent qu’ils n’ont que parfois, voire jamais, l’impression de faire quelque chose d’utile aux autres. Parmi eux, les employés des banques et des assurances, les ouvriers de la manutention, les caissières, les agents de gardiennage et de sécurité ou encore les employés de la restauration et de l’hébergement. En clair, plusieurs des professions souffrant d’une pénurie de main d’œuvre. 

« Ne pas trouver de sens à son travail accroît les risques de tomber en arrêt maladie voire de dépression. Cela a un réel impact sur la santé psychique », précise Coralie Perez. Gaël Chatelain-Berry, conférencier, auteur et chroniqueur, acquiesce. « En France, déjà avant la pandémie, on était numéro deux mondial du burn-out, et numéro deux en Europe de l’absentéisme au travail. Avant, on maltraitait les salariés. Il a fallu la vague de suicide chez Renault et chez France Télécom en 2008 pour qu’on parle enfin de qualité de vie au travail. En France, on est dans la réaction, au lieu d’être dans l’action », déplore-t-il. Pour Gaël Chatelain-Berry, la grande démission est « la meilleure nouvelle qu’on ait jamais eue » : il est optimiste face au mal qu’ont désormais les patrons et les directeurs des ressources humaines à recruter. 

Vers du changement 

     « L’époque des salariés corvéables à merci est révolue, il ne suffit plus de payer les employés pour qu’ils restent », explique Gaël Chatelain-Berry. Un constat touchant plus intensément les jeunes diplômés, qui demandent à ce que leur travail ait du sens. « Pourquoi devrais-je travailler plus que ce que je suis payé ? Ce n’est pas être fainéant », poursuit-il. Ce qui, pour certains, s’apparente à une forme de fainéantise, se lie davantage au bien-être pour d’autres. Et le bien-être au travail, « c’est quand on rentre chez-soi le soir dans le même état que lorsqu’on est arrivé », conclue le conférencier. Un objectif encore à atteindre. Lors des échanges avec le public, Gaël Chatelain-Berry a posé une question dans ce sens à l’ensemble de la salle : « qui a déjà eu une boule au ventre à l’idée de croiser son manager ? ». Plusieurs mains se lèvent. Les trois intervenants se sont mis d’accord sur un point : il va falloir faire des efforts pour améliorer ce rapport au travail, notamment en travaillant de manière flexible, c’est-à-dire avec des objectifs et non des horaires. 

Emma Kuhn 

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