Depuis plusieurs semaines, en Iran, l’affaire des écolières empoisonnées provoque une vague d’émotion et de colère à travers tout le pays. Ce ne sont pas moins de 25 provinces sur 31 qui seraient touchées, plus de 200 établissements et environ 5 000 élèves. Le régime iranien quant à lui, est accusé de vouloir punir les jeunes femmes pour leur rôle dans le mouvement de contestation déclenché il y a près de six mois.
En l’espace de quelques semaines, des centaines d’écoles, collèges et lycées de jeunes filles iraniennes ont été touchés par des vagues d’intoxication. Ces intoxications en chaîne auraient débuté il n’y a pas moins de trois mois, à Qom, ville sainte située à une centaine de kilomètres de Téhéran. Avant de s’étendre à l’ensemble du territoire iranien depuis fin février. Jour après jour, le phénomène se répète : d’abord cette odeur suspecte de « poisson pourri » ou « de mandarine », suivie de nausées, maux de tête, difficultés respiratoires, toux ou encore palpitations cardiaques. « Une très mauvaise odeur s’est répandu tout d’un coup, je me suis sentie mal et suis tombée sur le sol », raconte une écolière à la télévision iranienne.
Pour Azadeh Kian, professeure de sociologie et directrice du CEDREF à Paris (centre d’Enseignement, de Documentation et de Recherches pour les Études Féministes) ce sont des empoisonnements orchestrés et une stratégie d’intimidation de la part du gouvernement iranien. « Les dirigeants se vengent des lycéennes et des étudiantes. Le but est d’intimider les jeunes filles, de faire peur à leurs parents, de créer un climat anxiogène. Ils veulent se venger de ces mois de manifestations ». Ces attaques à l’encontre des jeunes filles iraniennes semblent avoir débuté peu après la participation active des lycéennes et écolières aux mobilisations contre le gouvernement de l’ayatollah Ali Khamenei. Celles-ci enlevaient leur voile dans les rues en guise de protestation et déchiraient le portrait du Guide Suprême. « On voit un état de plus en plus fragilisé, impopulaire qui tente par tous les moyens de contrôler la société et la jeunesse », ajoute Azadeh Kian.
Alors que les premiers cas avaient été rapportés dès le mois de novembre, les autorités iraniennes viennent seulement d’ouvrir une enquête sur la série d’intoxications. Un retard et un silence de la part du gouvernement, dénoncés par la société iranienne. « Nous ne comprenons pas pourquoi autant de temps s’est passé avant que les autorités daignent réagir. Les parents sont devant les écoles, ils manifestent depuis plusieurs semaines. Ils ne comprennent pas et on ne leur dit rien », s’exclame Sepideh Neydavoodi, Franco-iranienne basée à Strasbourg et membre de l’association Strass ’Iran. « Les autorités ont fermé les yeux trop longtemps, ce n’est pas normal » ajoute-t-elle.
Alors que les auteurs de ces attaques restent difficiles à identifier, le vice-ministre de l’Intérieur, Majid Mirahmadi, est apparu mardi à la télévision d’État. En réponse aux nouveaux mouvements de contestations, il a annoncé l’arrestation de plusieurs personnes, sur la base des enquêtes menées par les services de renseignement. Il n’a cependant pas donné de détails sur leur identité, les circonstances de leur arrestation et leur présumée implication. Des déclarations qui ne suffisent pas à calmer la colère des Iraniens. « Les auteurs de ces empoisonnements pensaient que les gens seraient intimidés et qu’ils commenceraient à laisser tomber, ce qui n’est pas le cas. Nous voulons la vérité, et pour le moment, ce n’est pas ça », déclare Sepideh Neydavoodi.
Plus de 6 mois après la mort de Mahsa Amini, survenue en détention après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour avoir mal porté son voile, les mouvements de protestation ne semblent pas s’estomper.
Léna Combes