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Dans la roue d’un livreur Deliveroo (2/2)

Deliveroo, l’un des services de livraison à vélo les plus connus en France, a enregistré 3000 nouveaux restaurants partenaires après le confinement. Un succès commercial pour l’entreprise anglaise, qui a recruté toujours plus de livreurs. Notre reportage en deux volets retrace la vie de deux d’entre eux, à Strasbourg, à deux époques très différentes de Deliveroo : à ses débuts en 2016 et aujourd’hui en 2020. Il évoque aussi les espoirs et les raisons qui ont poussé ces livreurs à arrêter ce métier. Deuxième partie : « La jungle de Deliveroo » par Alexandre*, livreur en 2020.

Lundi 27 juillet aux alentours de midi, je retrouve Alexandre, un des premiers coursiers Deliveroo sur Strasbourg. Nous avons rendez-vous à La Croix d’Or, un café à Souffelweyersheim. Il arrive avec le vélo qui l’a accompagné durant 4 ans de livraison. Il s’assoit et allume un cigarillo, il est serein, très paisible. Il a passé le confinement sur une selle, à livrer des commandes. « J’ai adoré cette période, j’ai pu redécouvrir le métier de coursier dans une ville vide, avec une météo plus que clémente », juge-t-il en ajoutant : « Les clients étaient bien plus polis que d’habitude, peut-être par besoin de parler à quelqu’un, ou le simple manque de dire bonjour ». Les restaurateurs aussi étaient heureux de voir venir ces livreurs, qui permettaient à leur commerce de survivre dans cette période difficile. Mais aujourd’hui, deux mois après le déconfinement, cette vie de livreur est derrière lui. Avec le retour à la normale, il a redécouvert les dures conditions de cette vie.  « Une ville dangereuse pour les vélos, des restaurateurs méfiants à cause de vols de commandes de la part des livreurs, des clients impolis et parfois acerbes », résume-t-il. Des conditions qu’il ne pouvait plus supporter, et aujourd’hui, c’est une nouvelle étape pour l’ancien coursier.

Dans une autre vie; Alexandre était juriste à Paris. A 28 ans, il est passé du « métro, boulot, dodo » au « vélo, vélo, vélo ». Les débuts ont été très difficiles : c’était son premier travail physique, et il ne connaissait pas du tout Strasbourg. Mais rapidement, le plein air, la liberté de l’indépendance, l’argent et l’appartenance à cette communauté de coursiers justifiaient son amour pour ce nouveau « métier ». « Au commencement, c’était vu comme un vrai métier », insiste-t-il, nostalgique de cette époque. Des conditions qu’il a pu retrouver pendant cette période si particulière qu’a été le confinement, une période révolue.

Le déclin

« En 4 ans de livraison avec Deliveroo, j’ai pu vivre l’âge d’or des coursiers, mais aussi les évolutions qui ont fait de ce métier un job étudiant en comparaison des débuts », raconte Alexandre. Le plaisir de livrer est devenu un labeur. « En 4 ans, nous sommes passés d’une rémunération de 5 € par commande sur un périmètre réduit au centre-ville et ses alentours, à une rémunération au kilomètre dans une zone élargie au maximum, comprenant Illkirch-Graffenstaden, Wolfisheim, Reichstett ou encore Entzheim », expose l’ex-Parisien. Une rémunération au kilomètre que Deliveroo s’efforce de baisser petit à petit. À tel point qu’elle a aujourd’hui été divisée par trois depuis le début. « Aujourd’hui beaucoup utilisent des vélos à assistance électrique, ou même des voitures ou des scooters. C’est de plus en plus compliqué de suivre le rythme juste avec la force des cuisses », explique l’ancien coursier qui continuait malgré tout de livrer avec le vélo de ses débuts, un vélo sans assistance.

Mais pour lui le plus dur est la disparition de cette communauté des coursiers. Une communauté qui était très soudée. « Entre les membres, des concours étaient lancés pour se mesurer aux autres : avoir plus de commandes, la vitesse la plus rapide, le plus de pourboire… Des concours qui nous motivaient, qui donnaient une autre raison de rouler, autre que l’argent », assure l’ancien coursier. Mais cette petite communauté a lentement disparu pour laisser place à plus de 2 000 coursiers. C’est devenu aujourd’hui un marathon, mais on ne souffre pas pour le plaisir, on souffre pour survivre. « Les anciens sont partis, à cause des conditions de travail, et les nouveaux n’essayaient pas de s’intégrer, souvent ils parlaient peu le français. Il n’y avait plus aucune motivation à rouler, plus vraiment de collègues, beaucoup moins d’argent », explique-t-il dépité par ces changements.

 « Il suffit de ne plus se rendre dans les zones de livraison, de se déconnecter de l’application. C’est tout. »

Alexandre

Après son changement de vie, Alexandre était devenu coursier pour pouvoir manger. Un métier avec de l’indépendance, des paies très copieuses, des membres d’une communauté qui était devenue de véritables amis. Mais aujourd’hui, ce qu’il retient c’est la liberté de l’indépendant. Il a entamé une reconversion pour devenir programmeur de site Internet et veut à tout prix rester indépendant. « Même si je dois gagner 50% de moins, je resterais indépendant. Je ne pourrai jamais retourner à un mode de vie plus classique, celui d’être salarié. C’est devenu mon mode de vie », assure Alexandre en se tournant maintenant vers l’avenir.

Et au début du mois de juin, seulement quelques jours après le déconfinement, Alexandre a quitté Deliveroo. Quatre ans de sa vie passés à livrer des commandes, des milliers d’heures passées en ville, et un jour sans prévenir, il a claqué la porte. « Il suffit de ne plus se rendre dans les zones de livraison, de se déconnecter de l’application. C’est tout. », assure-t-il, presque déçu d’une telle fin.

J’étais devenu un Paria 

Alexandre

Il s’est aujourd’hui éloigné de ce métier. Ce qui était un « travail » très gratifiant est devenu en 4 ans un « simple job étudiant », explique-t-il. « Le regard de la société a beaucoup changé, j’étais devenu un paria, ce n’était plus un vrai métier. Et à 34 ans, c’est difficile de supporter ce regard », explique-t-il pour justifier ce changement de voie. Être coursier aujourd’hui, c’est aussi subir les évolutions et les mauvaises conditions de travail. Il faut pédaler plus pour gagner moins, c’est ceux qui ont le moins à perdre qui peuvent rester dans la jungle de Deliveroo.

*Le prénom a été modifiée.

                                          Un article de Thibaud Gamb, édité par Sailesh Gya

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