Viktor Orban, Matteo Salvini, Marine Le Pen, Sebastian Kurz… Ces personnalités politiques de plus en plus populaires sont aujourd’hui qualifiées de populistes par leurs opposants et les médias. Pourtant, de nombreux spécialistes s’accordent à dire que cette étiquette peut paraître simpliste.
« La frontière véritable qui traverse l’Europe est celle aujourd’hui qui sépare les progressistes des nationalistes », insistait Emmanuel Macron, devant le Congrès en juillet 2018. Le choix entre, d’un côté, les partis progressistes et, de l’autre, populistes, est présenté comme seule tendance possible pour les électeurs européens. Comprenez les gentils contre les méchants sans aucune autre issue. Le contexte politique est-il aussi simple ? « Les gens au pouvoir nous propose une version très limitée de la démocratie. Sur les dernières élections présidentielles en France, la vision qu’on en a eue en Allemagne, c’est que l’offre politique se limitait uniquement à un choix entre pro-européens et les extrêmes. En Europe, dès que quelqu’un se définit comme europhile, on le catégorise directement comme progressiste, alors que pour moi l’Europe d’aujourd’hui n’a rien de très progressiste. Il y a beaucoup de choses à critiquer », observe Wiebke Keim, sociologue et spécialiste du mouvement populiste, chercheuse à l’Université de Strasbourg.
Si ce raccourci peut paraître simpliste pour les observateurs de la vie politique européenne, c’est en partie parce que définir de manière concrète l’orientation idéologique populiste est complexe. Une définition modulable selon l’époque, mais également en fonction de l’histoire et de la culture d’un pays. « Le populisme est une notion assez floue employée dans différents contextes. Il a notamment été caractérisé comme le mal par plusieurs think thanks qui voyaient aussi en lui une tentative de renouveau de la démocratie. Ce qui est intéressant c’est de comprendre qui utilise ce terme et dans quel objectif », analyse Dostena Anguelova, enseignante-chercheuse en sciences politiques. Qualifié comme chef de file des partis populistes européens par les médias avant l’arrivée au pouvoir de Giuseppe Conte et Matteo Salvini en Italie, le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen tente désespérément de s’enlever cette étiquette. Avec plus ou moins de succès.
Pourtant, de nombreux spécialistes remettent aujourd’hui en cause le raccourci qui consiste à faire du deuxième parti de France un mouvement dit populiste. Parmi eux, l’auteure Annie Collovald avance un argument fort. Dans son livre Le populisme du FN : un dangereux contresens, l’écrivain y voit un problème sémantique. Selon elle, renvoyer la responsabilité du succès du RN aux classes populaires est un effet linguistique car la notion de « classes populaires » n’existe pas dans d’autres langues comme l’anglais ou l’allemand, ce qui rendrait impossible d’appliquer cette notion pour d’autres partis présents hors de l’Hexagone.
Pour d’autres raisons, Wiebke Keim dénonce aussi ce qu’elle considère comme une grave erreur. « Rendre le peuple responsable de la montée d’un parti d’extrême-droite est problématique car la solution proposée pour lutter contre cette hausse engage les dirigeants dits progressistes à se fier de plus en plus aux experts et donc faire fonctionner une société technocratique qui est très décriée. »
Pour Wiebke Keim, « le populisme se définit comme une idéologie, ou un style politique dans lequel les leaders font appel au peuple, ou se légitiment eux-mêmes comme la voix du peuple ». Sur cette seule caractéristique, difficile alors de différencier les dirigeants issus d’une démocratie. Il peut être intéressant de noter que le populisme, toujours selon cette chercheuse, « part d’une idéologie d’inégalité entre humains. Le populisme se baserait sur une solidarité entre ceux qui font partie du peuple et ceux qui ont le droit d’avoir accès à cette solidarité ». À l’inverse, le progressisme partirait « d’une notion d’égalité pour tous, et critiquerait le fait que les gens n’ont pas tous les mêmes droits et biens matériaux ».
Les populistes « ne gagnent les élections qu’en proposant des rêves irréalisables » pour Dostena Anguelova. Il est alors compliqué pour elle de taxer Viktor Orban de populiste. Le dirigeant hongrois a en effet effectué deux mandats avant d’être reconduit pour un troisième en 2010.
Et c’est finalement cela le problème pour Dostena Anguelova, c’est « qu’on met plein de choses dans le populisme » : Orban, selon elle, doit être qualifié de conservateur, puisqu’il a réussi à se faire réélire, donc quelque part, des promesses ont été tenues. Il fait par ailleurs toujours partie du PPE (parti populaire européen), plutôt conservateur du Parlement Européen. Le gouvernement italien en revanche est pour elle populiste.
Wiebke Keim et Dostena Anguelova s’accordent sur un point : il est compliqué de donner une définition exacte et précise du populisme, qui, pour elles, est lié à une faiblesse des partis traditionnels.
Pour la première, c’est le comportement de la gauche qu’il faut fustiger.
« Je pense qu’il y a un problème de grande faiblesse de la gauche, et c’est le cas dans de nombreux pays européens ».
Abandon de la lutte des classes, participation de la sociale-démocratie dans la libéralisation du marché du travail, question des migrants, et traitement de la crise économique de 2008 – avec le renflouement des banques par les États – sont des éléments de réponse également pour Dostena Anguelova, qui ajoute « les partis gauche-droite défendaient un point de vue de plus en plus similaire ». L’émergence des partis extrémistes dans la vie politique était alors évidente, et ces partis, pour les distinguer des partis dits « traditionnels », ont été alors qualifiés de populistes.
Un effet de mode ? C’est ce qu’espère Wiebke Keim, qui a du mal à expliquer cette montée du populisme. Elle remarque une crise de représentativité et un manque de force progressiste au niveau des gouvernements qui poussent les électeurs à se tourner vers les partis extrémistes.
Emmanuel Macron, Luigi Di Maio, et pour sortir des frontières européennes, Juan Guaido au Vénézuela, sont des hommes « qui ne se réclament ni de droite ni de gauche, et qui prétendent tout faire différemment ».
Dostena Anguelova se montre très virulente sur les institutions européennes et le rôle qu’elles jouent. Quel avenir alors pour l’Union européenne, qui cultive en son sein des gouvernements populistes qui ne voient pas l’UE comme une bonne chose ? « L’Europe a besoin d’être forte, notamment face aux États-Unis, mais plus elle essaie de se renforcer, plus elle devient faible ».
En cause notamment, sa bureaucratie bruxelloise qui n’a pas su faire de l’Europe une « Europe providence ». La gestion économique ne suit pas non plus selon elle, qui voit en Bruxelles et ses réseaux de lobbys « une machine capable de ruiner un état comme la Grèce, et qui n’arrive toujours pas à se mettre d’accord sur la gestion des paradis fiscaux ou des dettes ».
La solution serait finalement qu’une Europe minée par des attaques populistes qui s’en prennent aux institutions, laisse la place à une Europe progressiste, qui puisse défendre ses intérêts territoriaux et citoyens « sans vendre des beaux discours sur l’acceptation de l’immigration d’un côté, et de l’autre payer des pays africains pour garder les migrants de leur côté de la Méditerranée »
Longtemps confrontés à un plafond de verre électoral, les partis dits populistes sont néanmoins parvenus à trouver la recette pour arriver au pouvoir. Une ascension politique qui dérange et qui plonge l’avenir de l’Europe dans l’incertitude et le doute.