L’agriculture peut sauver le climat ! C’est un concept développé progressivement par les chercheurs en agronomie. En Europe, les discussions sur la Politique agricole commune ont ouvert la voie à une revendication des milieux écologiques. Pour eux, il est essentiel de soutenir les initiatives agroécologiques. Non seulement, cette pratique est plus respectueuse de l’environnement mais elle est également un véritable levier pour la lutte contre le changement climatique.
Il est souvent reproché à l’agriculture d’être néfaste pour l’environnement. Au total, elle représente 10 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne. Rien d’étonnant à cela, l’UE étant la première puissance agricole mondiale. De fait, la Politique agricole commune (PAC) est sa principale dépense. Elle pèse pour 40 % du budget global. De nombreuses aides sont distribuées aux agriculteurs, en fonction de la superficie de leurs exploitations et du nombre de bêtes en élevage. En somme, la PAC soutient et assure un revenu minimal aux travailleurs de la terre. Le principal reproche qui lui est fait est de ne distinguer que très peu les pratiques agricoles et d’avoir tendance à favoriser les grosses exploitations.
Le projet de PAC 2014-2020 souhaite cependant encourager les changements dans les pratiques. 30 % d’aides sont allouées à des fermes qui agissent pour une agriculture plus écologique. Les conditions pour être éligible poussent à une conversion progressive : diversification des cultures, maintien de prairies permanentes et retour des haies, arbres, murets pour la biodiversité et le recouvrement des surfaces. Ces différentes pratiques font partie du modèle dit « agroécologique », aujourd’hui à la mode dans les milieux agronomiques.
Pour eux, il faut trouver une alternative à l’agriculture intensive et à la déforestation, car « les sols se sont beaucoup appauvris et l’absorption naturelle du CO2 a fortement diminué », explique Jean-François Soussana, vice-président à l’international de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Depuis une vingtaine d’années, les réflexions sur les modèles agricoles ont développé de nouveaux principes tels que le « bio » ou encore l’agroécologie. Exit donc l’exploitation intensive des terres et les tonnes de produits phytosanitaires déversées sur les champs.
L’agroécologie est une forme d’agriculture « qui place les écosystèmes au cœur de la pratique agricole », définit Alain Peeters d’Agroecology Europe, association qui promeut l’agroécologie en Europe. Elle est donc plus respectueuse de l’environnement, soutient une certaine diversité et limite l’exploitation des ressources naturelles. Au-delà de cette définition, une ferme purement agroécologique est difficile à définir et peut prendre diverses formes. En Belgique par exemple, sur l’espace classé Natura 2000 de la Gaume – site protégé européen -, un élevage bovin extensif sur 150 hectares permet de valoriser les prairies et de développer une activité locale. Plus au sud en Espagne dans une ferme produisant des olives, l’érosion des sols est évitée par la mise au repos des oliviers et la présence de mauvaises herbes.
Toutes ces méthodes ne sont pas innovantes en soi : cette révolution dont parlent les milieux agronomiques est plutôt, en réalité, un retour aux sources. On peut aussi pratiquer le paillage qui consiste à recouvrir le sol par des feuilles, des branches et autres organismes forestiers afin d’éviter le tassement dû à la pluie ou l’évaporation de l’eau. Plus couramment, la technique traditionnelle de la jachère, c’est-à-dire la rotation de cultures, est remise au goût du jour : en alternant chaque année les cultures dans les champs, la matière organique présente dans les sols est renouvelée. Cette méthode améliore également la fertilité du sol et lui permet de se régénérer.
L’agroécologie regroupe donc un certain nombre de pratiques en rupture radicale avec ce qui a été fait depuis la mécanisation des outils agricoles. C’est pourquoi elle est au cœur de la transition écologique et des problématiques qui animent notre société. Pour Dominique Potier, ancien agriculteur et député PS de la 5e circonscription de Meurthe-et-Moselle spécialiste des questions agronomiques, cette agriculture permettrait de « concilier réduction des gaz à effet de serre, production alimentaire suffisante et santé préventive ». L’enjeu est majeur : il s’agit d’être capable de nourrir durablement les 500 millions d’habitants que comptera l’Union européenne en 2050. Le député cite une étude de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) publiée en septembre 2018. D’après cette dernière, la perspective d’une Europe sans pesticides est tout à fait possible. Elle induirait une baisse de 35 % de notre production par rapport à 2010 ou encore un changement de notre régime alimentaire vers plus de céréales et de fruits et légumes.
Si l’agroécologie paraît donc une solution enviable, la réalité du terrain est plus complexe. Selon Daniel Fix, agriculteur et éleveur dans le Bas-Rhin, « c’est une vision d’esprit de gens qui n’ont jamais travaillé la terre, qui ne correspond pas aux pratiques d’aujourd’hui ». Pour vivre de leur métier, les agriculteurs n’auraient pas d’autres choix que d’utiliser des pesticides. Cependant, cela ne signifie pas que ces problématiques leur sont indifférentes. Daniel Fix est conscient du besoin d’évoluer, il a lui-même réduit les quantités d’engrais déposés sur ses champs et analyse régulièrement ses sols pour s’adapter à leurs besoins. Il considère cependant que l’agroécologie n’est pas viable économiquement. Elle rend les paysans plus dépendants des conditions climatiques, ce qui diminue les rendements.
« Cela ne diminue pas forcément les revenus pour autant, analyse Alain Peeters, on peut même dire que cela peut les augmenter, puisque à terme, les agriculteurs auront moins de frais, en pesticides et en engrais ». Il n’y a cependant pas encore assez de données chiffrées pour présenter cet argument aux agriculteurs. Selon M. Peeters, « le plus difficile est la période de transition, mais elle dure quelques années et est amortie à l’avenir ». Le scénario Ten Years For Agroecology (TYFA) présenté par l’IDDRI donne cependant quelques pistes. Ce nouveau système de production permettrait de continuer d’exporter des céréales, des produits laitiers et du vin hors de l’UE tout en diminuant de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre.
Depuis plusieurs années, l’INRA planche sur le sujet. Pour associer agriculture et lutte contre le changement climatique, leurs chercheurs ont développé l’initiative 4 pour 1000. Le principe : stocker du carbone dans les sols pour tenter de limiter la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. « Dans leur cycle naturel, les plantes absorbent le CO2, puis celui-ci passe dans le sol pour constituer une matière organique nécessaire à la richesse de la terre.L’objectif est d’augmenter le stockage du CO2 dans le sol de l’ordre de 4 unités de carbone pour 1000, soit 0,4 % par an », explique Jean-François Soussana. L’initiative a été présentée par la France lors de la COP21 en décembre 2015. Pour l’heure, l’initiative n’a que peu d’écho au niveau européen.
En France depuis 2014, le terme d’agroécologie est inscrit dans la loi. Bien que l’état encourage le recours à ces pratiques, la création d’un label agroécologique n’est pas encore à l’ordre du jour. Beaucoup estiment que le label français « AB » – Agriculture Biologique – ou le label européen sont suffisants. Cependant, l’émergence d’un label spécifique permettrait de distinguer ces pratiques et de leur donner une véritable visibilité. C’est ce qu’affirme Alain Peeters : « l’agroécologie a un cahier des charges plus développé que le « bio », elle prend en compte les questions éthiques et sociales, ainsi que l’environnement de façon plus globale ». Cette étape législative permettrait donc d’ouvrir la voie à une politique agroécologique. L’accompagnement des agriculteurs tant pédagogique que financier serait également essentiel pour réussir cette transition.
Maud Lénée-Corrèze et Fanny Perrette