Dépassé par l’ampleur du Covid-19, le Brésil est devenu le troisième pays au monde déplorant le plus de décès. Un grand nombre d’expatriés brésiliens se sentent concernés, mais surtout consternés face à la situation chaotique de l’Etat le plus peuplé d’Amérique latine.
La propagation du coronavirus ne cesse de s’intensifier au Brésil. Le dernier bilan du ministère de la Santé fait état de 37 334 décès et 707 412 cas confirmés. Des chiffres officiels largement sous-estimés selon les spécialistes, faute de tests en nombre suffisant. Le pays de 212 millions d’habitants se place aujourd’hui derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, mais devant l’Italie. En termes de personnes infectées, le Brésil est le deuxième pays au monde avec un record journalier de 1473 morts le 4 juin.
Le président Jair Bolsonaro a menacé, ce 6 juin, de retirer son pays de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il accuse l’instance de « parti pris idéologique » car cette dernière met en garde les pays d’Amérique du Sud sur une levée trop rapide des mesures de confinement. Un scénario semblable à son homologue américain, Donald Trump. Tout comme ce dernier, le président brésilien vante l’efficacité de l’hydroxychloroquine. Le gouvernement a engagé un bras de fer avec les institutions démocratiques, mais aussi avec les scientifiques, qui sont divisés sur la question de ce médicament, utilisé habituellement contre la malaria, une maladie tropicale.
« Avec Bolsonaro à la tête du pays, j’ai honte de dire que je suis Brésilienne », témoigne Liane Zoppas, résidant à Strasbourg depuis 40 ans. Cette architecte, s’inquiète pour sa famille résidant à Porto Alegre, dans le sud du pays. Yasmin Barros, 18 ans, étudiante brésilienne à Strasbourg dénonce aussi l’attitude du président. Rentrée le 31 mai dernier chez sa famille à Brasilia, capitale et siège du gouvernement du District fédéral, elle pointe du doigt son inconscience lors de ses multiples représentations publiques. « Soutenu par une partie de la population, il s’est offert à plusieurs reprises des bains de foule dans la capitale, en se prenant pour un héros. J’ai l’impression qu’il ne prend pas la pandémie au sérieux », regrette la jeune Brésilienne.
Au centre des critiques, la gestion du président Jair Bolsonaro. Le 16 avril dernier, il a congédié son ministre de la Santé. Celui-ci voulait appliquer les protocoles recommandés par l’OMS. Un mois plus tard, son successeur démissionne. Le président d’extrême-droite est ouvertement anti-confinement, qu’il voit comme une atteinte à la liberté. La Cour Suprême a délégué le pouvoir de décision aux gouverneurs locaux. Mais la situation sanitaire reste tout de même très préoccupante.
Qualifiant le président de « dangereux », Liane lui reproche de laisser les hôpitaux du pays au bord de l’implosion, alors que le virus menace de faire effondrer le système hospitalier. « Il n’y a aucun budget accordé au système de santé. C’est une honte. » s’indigne-t-elle. Manque de personnels, de respirateurs ou encore de lits hospitaliers, son frère médecin lui relate les journées éprouvantes et la saturation de l’hôpital dans lequel il travaille.
Jair Bolsonaro continue d’attaquer les mesures d’isolement social au nom de la reprise économique. « La crise économique était déjà présente avant le virus, et elle va s’amplifier davantage. Les petits commerçants sont notamment les plus touchés » annonce Felipe Heimburger, historien brésilien. Il assure que l’exécutif a tarder à mettre en place des mesures d’aides financières. « Les députés ont finalement accordé une aide de 600 réaux brésiliens, soit près de 107 euros par mois. Mais il faut savoir que la monnaie du Brésil se dévalorise beaucoup plus que les autres des pays émergents, et les gens s’endettent de plus en plus », analyse-t-il. Un drame qui touche de plein fouet les États du nord du pays, où la population est la plus démunie.
Un autre problème subsiste pour les plus précaires. « L’économie du pays est à moitié informelle donc les Brésiliens ne sont pas encadrés dans un système de travail. Une partie de la population fait pression aujourd’hui pour qu’elle puisse retourner travailler » affirme Felipe Heimburger. « L’économie du Brésil dépend beaucoup des investissements extérieurs, notamment de l’Europe, des États-Unis et de la Chine. S’ils considèrent qu’il est trop risqué d’investir au Brésil, l’industrie et les commerces seront en très grandes difficultés », juge-t-il, dressant un parallèle avec la crise des années 1980. Avec la crise sanitaire, le pays est aujourd’hui plus divisé que jamais.
Mélissa Latreche