La fin d’une ère pour la première centrale nucléaire de France. Après 42 ans de service, la centrale a définitivement éteint son second réacteur. Promesse de campagne de François Hollande en 2012, la mise hors service de la centrale ne s’est réalisée que huit ans après. Olivier Larizza, co-auteur de « Fessenheim et le dogme du nucléaire français », nous parle de cette fermeture tardive.
Dockinfos : La centrale nucléaire de Fessenheim ferme enfin ses portes le 30 juin 2020, qu’en pensez-vous ?
Olivier Larizza : Il était temps ! Pour des raisons économiques, sanitaires, financières et écologiques. C’est quand même une centrale qui est entrée en obsolescence depuis de très nombreuses années, puisqu’au départ, elle était prévue pour fonctionner 30 ans. Cette longévité s’explique par le fait que sa durée d’amortissement était de 20 ans, et 10 ans de plus pour permettre une rentabilité. Mais au cours de son activité, elle a présenté des défaillances techniques extrêmement dangereuses. C’est une centrale qui a subi plus de 1000 incidents, c’est 3 à 4 fois plus que la moyenne des incidents dans les centrales nucléaires françaises. Et de surcroit elle n’était plus rentable d’un point de vue économique.
Dockinfos : De nombreuses voix s’opposent à la fermeture, d’un point de vue économique pour la région, mais aussi d’un point de vue social. Est-ce que c’est justifié selon vous ?
Olivier Larizza : Pour l’aspect social, c’est une opposition factice, une opposition mise en avant par les nucléophiles pour maintenir le système nucléaire français qui ne se justifie plus. Elle est factice, car quand on démantèle une centrale à forte puissance, comme celle de Fessenheim, qui est la première démantelée, forcément cela génère des emplois sur plusieurs décennies. Et le deuxième point c’est qu’aucun salarié d’EDF ne sera au chômage. Certes il faut faire preuve de mobilité, mais en 2020, se déplacer en France est beaucoup plus facile qu’en 1950. Bien entendu, à très court terme, il peut y avoir une baisse de l’activité de la région, mais je rappelle que le site de Fessenheim ne s’arrête pas de but en blanc : il y a un projet de reconversion en partenariat avec l’Allemagne. L’idée est d’en faire un cas d’école pour l’avenir dans le démantèlement et la reconversion d’un site nucléaire non propre vers un site de production d’énergie renouvelable.
Dockinfos : Pourquoi viser spécifiquement la centrale de Fessenheim ? Les risques étaient-ils plus élevés que dans les autres centrales ?
Olivier Larizza : Elle était donc conçue pour fonctionner 30 ans en relative sécurité, même si le risque zéro n’existe pas. Et le risque s’accroit fortement lorsqu’on regarde le site de Fessenheim. La centrale est construite sur une faille sismique, et à 9 mètres sous le niveau d’eau du canal d’Alsace. Des terres inondables qui peuvent, en cas extrême, mener à l’accident nucléaire. En réalité, la centrale a été construite là où personne de sensé n’aurait songé à le faire : au pire endroit ! Hormis la localisation géographique, ce qui est sûr, c’est qu’elle n’aurait pas dû fonctionner plus de trente ans, à cause du vieillissement des matériaux et des systèmes de protection qui deviennent obsolètes.
« Pour 50 ans de confort électrique, on a engagé des générations pour des millénaires. »
Olivier Larizza
Dockinfos : Vous parlez de « dogme du nucléaire français » ? Qu’est-ce que cela signifie ?
Olivier Larizza : Le dogme, c’est ce qui résiste à tout, c’est une idée ou un principe inattaquable, toujours vrai et toujours juste. Et pour l’industrie du nucléaire, on peut parler de logique dogmatique, une logique qui vise à maintenir un système qui ne se justifie plus et qui est dépassé. Il ne se justifie plus car les coûts, qu’ils soient environnementaux ou économiques, dépassent largement les bénéfices obtenus.
Dockinfos : Alors pourquoi cette centrale nucléaire à risque a-t-elle mis autant de temps à s’arrêter ?
Olivier Larizza : Il fallait fermer Fessenheim pour des raisons de vétusté, de risques. L’arrêt ne s’est pas fait en 2012, car l’industrie et le lobby du nucléaire avaient peur d’un effet domino qui toucherait l’entièreté du parc nucléaire français. Aujourd’hui, cette fermeture est assumée : fermer Fessenheim ne revient pas à invalider le nucléaire en France auprès de l’opinion. C’est très différent de la décision d’Angela Merkel en 2011, qui a mis un point final au nucléaire allemand.
Dockinfos : Faut-il s’attendre à une hausse des gaz à effet de serre en France ?
Olivier Larizza : Cette augmentation du taux de CO² est un argument qui ne tient pas la route. Sur le cas de Fessenheim en particulier, c’est une centrale qui « ronronnait », c’est-à-dire que sur les huit dernières années, elle n’a pas fonctionné la moitié du temps. Et même du temps de sa splendeur, Fessenheim n’a jamais atteint la productivité qu’on espérait. Ensuite, il faut se savoir que le nucléaire n’est pas une énergie décarbonée. C’est compliqué de faire des estimations, mais dans le cadre de la France, 100% de l’uranium (le combustible pour les centrales) est extrait de pays étrangers notamment Niger et Mali. Et pour le parc nucléaire français, il faut 9 000 tonnes d’uranium par an importées grâce aux cargos extrêmement polluants. Bien entendu, l’énergie nucléaire émet moins de gaz à effet de serre que le charbon, mais elle en émet plus que l’éolien. Et celui-ci fonctionne sans carburant nocif pour des centaines de générations. L’Allemagne est le bon contre-exemple : lors de la fermeture des premiers réacteurs nucléaires, il y a eu une légère hausse du taux de CO². Une hausse due à la remise en service des centrales à charbon. Mais la courbe des émissions de gaz à effet de serre est vite redescendue grâce au développement de l’énergie éolienne. Une énergie verte qui a permis d’équilibrer la balance. Et c’est l’arrêt du nucléaire qui a permis le développement, notamment, du parc éolien.
Dockinfos : 14 autres réacteurs français seront fermés avant 2035, quelle énergie privilégier pour remplacer cette énergie nucléaire ?
Olivier Larizza : S’ils s’arrêtent effectivement… Aucune solution n’est parfaite, mais pour citer Nicolaï Kardachev, un physicien russe qui avait établi que le degré d’évolution d’une civilisation se mesure à sa capacité à capter l’énergie que lui envoie son étoile, on peut penser que l’énergie solaire est la solution d’avenir. Si l’on arrivait à capter ne serait-ce que 0,01% de l’énergie solaire, on pourrait subvenir à tous les besoins énergétiques de l’Humanité.
Entretien réalisé par Thibaud Gamb
Lire : « Fessenheim et le dogme du nucléaire français », 208 pages aux éditions Andersen, Prix : 16.90€
Un entretien de Thibaud Gamb, édité par Sailesh Gya.